Depuis quelques jours, des internautes indignés commencent à dénoncer de manière virulente le site de rencontres en ligne dédié aux adolescents, connu sous le nom de Rencontre Ado. Cette plateforme a fait l'objet de vives critiques en raison de l'absence totale de vérification d’identité lors de l’inscription, permettant ainsi à tout un chacun de créer un compte sans aucune forme de contrôle. En plus de cela, des dizaines de messages à caractère sexuel sont régulièrement envoyés en privé à des mineurs, ajoutant ainsi à l'inquiétude croissante des parents. La communication entourant la plateforme soulève également de nombreuses interrogations, tant sur la sécurité des utilisateurs que sur la moralité de sa gestion. Nous nous concentrons ici sur les différents aspects de la polémique qui secoue ce site de rencontres en ligne.
Capture d’écran de la page d’accueil du site Rencontre Ado, le 22 août 2023.
Un site de rencontres amicales et amoureuses pour « adolescents » âgés… De 13 à 25 ans ! En lisant simplement cette description, il devient aisé de cerner la gravité du problème. En effet, depuis quelques jours, un grand nombre d'internautes commencent à s’indigner et exprimer leur colère par rapport à la plateforme Rencontre Ado, l'accusant d’« héberger des pédophiles ». Cette situation alarmante mérite une attention particulière, car il s’agit de la sécurité et du bien-être des jeunes utilisateurs.
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Un site qui inquiète les parents
« J’ai un profil de 13 ans sans photo. 8 demandes d’amis. 5 dm dans la demi-heure. J’ai envie de violence », s’insurge sur X (ex-Twitter), une utilisatrice ayant décidé de mener une enquête de terrain en infiltrant le site pour mieux dénoncer ses pratiques. Les « dm » (direct message, les messages échangés en privé entre les membres) en question témoignent d'une approche inquiétante : « Salut t’es mignonne on fait connaissance ? » ou encore « Holà princesse… Laisse moi te ligoter ». Ces messages sont suivis d’une preuve accablante : le profil d’un utilisateur avec des intentions très clairement malveillantes : « Tentée par une expérience radicalement différente de tout ce que tu pourras connaître avec les gamins d’ici ou de ton âge ? Envie de maturité et de savoir-faire, mais pas d’un physique (habituel) de daron ? ».
Lilly, utilisant également X, ne cesse d'accuser la plateforme d’héberger des pédo-criminels. « Des hommes proposent des relations donc des viols tarifés à des enfants !!! Sur votre plateforme ! », s’indigne cette mère de trois enfants, tandis que d’autres parents commencent à s’éveiller face à cette situation alarmante.
Aucune vérification d’identité
Rencontre Ados n’est pas un site de rencontre tout récent. En effet, le site a vu le jour en 2006 et se présente aujourd’hui comme « le meilleur site de rencontre pour ados », selon leurs propres affirmations. Le site propose diverses fonctionnalités, dont un forum de discussion, un système de recherche pour localiser des membres à proximité et une messagerie privée. Cependant, lors de l'exploration de la plateforme, plusieurs éléments soulèvent des doutes sérieux.
Tout d’abord, le règlement du site énumère une liste de 38 comportements prohibés, y compris l'interdiction pour les mineurs de s'inscrire sans l'autorisation expresse des parents, ainsi que l'interdiction d'envoyer des messages et des photos à connotation sexuelle. Toutefois, dans les faits, aucune vérification d’identité n’est exigée lors de la création d'un compte, laissant la porte ouverte à des abus potentiels, rendant les conversations privées non surveillées et donc plus dangereuses. De plus, bien que le site mette en avant des rencontres « près de chez vous », s’il est demandé à l'utilisateur de ne pas révéler sa localisation, le site indique que « nous allons essayer de vous localiser via votre IP, mais c’est moins précis ».
La seule protection apparente offerte par la plateforme est la possibilité pour les utilisateurs de passer à un statut de « membre vérifié », mais cela n’est pas non plus une obligation. En observant de plus près, le site mentionne une option permettant de signaler un utilisateur comme « fake/faux profil ». Toutefois, la réponse à la question « que se passe-t-il après un signalement ? » laisse planer le doute : « À vrai dire, rien, vous pouvez naviguer et profiter du site normalement, seulement les autres membres sont avertis de votre statut particulier et sont donc libres de vous contacter ou non. »
Un autre fait troublant est que le site a été banni de l’Apple Store, car « Apple refuse d’avoir une application de rencontre pour les mineurs. La seule solution était de masquer tous les profils en dessous de 18 ans, ce que l’on a refusé », affirment avec une étonnante conviction les fondateurs sur leur plateforme.
Des enfants plus jeunes et plus connectés qu’avant
La raison pour laquelle la plateforme soulève autant d’inquiétudes parmi les parents réside dans le fait que les enfants sont désormais massivement connectés aux réseaux sociaux et s’y inscrivent à un âge de plus en plus précoce. Selon une enquête de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) datant de 2021, relayée par le site Vie Publique, il a été constaté que la première inscription sur un réseau social se fait généralement à l’âge de 8 ans et demi et qu’une majorité d’enfants entre 10 et 14 ans sont désormais présents sur ces plateformes, et ce, de manière exponentielle.
Lors d'une récente intervention sur France info le 22 août, Charlotte Caubel, la secrétaire d’État en charge de l’Enfance, a souligné l’existence de « plein de lieux de rencontres pour les ados et les enfants entre eux et pour d’éventuels adultes qui se font passer pour des ados : les messageries TikTok, Snapchat, Instagram ». Elle a précisé que l'objectif n'est pas d’« interdire », car « nous savons très bien que cela conduira les enfants, les adolescents et même les adultes à aller vers d’autres plateformes moins régulées ». L’idée serait plutôt de « réglementer » les pratiques pour protéger les jeunes utilisateurs.
Ainsi, suite à la loi du 7 juillet 2023, il est obligatoire d’avoir au minimum 15 ans pour s’inscrire sur les réseaux sociaux, qui doivent ainsi mettre en place des solutions adéquates pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs. En outre, la loi inclut également des dispositions visant à mieux prévenir et sanctionner les délits en ligne, tels que le cyberharcèlement. Cependant, il est à noter que le site Rencontre Ados est hébergé en Belgique, ce qui complique la mise en œuvre d’éventuelles enquêtes ou poursuites judiciaires.
Actuellement, il est pratiquement impossible de joindre la plateforme, cette dernière ayant exprimé son refus de donner des interviews à la presse. « Nous avons trop de demandes à ce sujet, et lorsque nous accordons une interview, nos propos sont souvent déformés ou mal interprétés pour coller à un narratif qui ne reflète pas la réalité. Donc non, merci. », a déclaré le site clairement dans un message public.
Cependant, il est bon de noter qu’il n’a pas toujours été ainsi. En 2019, Thomas Mester, le gérant du site, avait accepté de répondre aux journalistes de Libération. Concernant la différence d’âge entre les utilisateurs, il semblait minimiser le problème, affirmant maladroitement que « l’adolescence ne se termine plus vraiment à 18 ans. Maintenant, ils restent longtemps chez leurs parents et sont encore un peu des enfants, » ignorait par là les enjeux de sécurité incarnés par cette dynamique. Il admit que c’était également une question de publicité, arguant que « personne ne veut payer pour des espaces publicitaires sur un site majoritairement fréquenté par des mineurs. »
